Et nous voilà repartit en campagne pour essayer de communier de nouveau avec Euterpe, ou bien sa copine, Saraswati. D'ailleurs, pour cette soirée toute en douceur, Saraswati, était plus appropriée.
Bon. Déjà, une petite salle perdue dans le quartier de Belleville. Le Zèbre. Un ancien cinéma transformé en salle de concert, ma foi bien sympathique et cosy à souhait. L'accueil est chaleureux, le personnel est accueillant. Le balcon sera pris d'assaut de suite (après celui du merchandising) et, les gens se sentant bien dans cet endroit, n'en décrocheront pas de la soirée.
Ce soir c'est concert privé, uniquement sur pré-vente. La tête d'affiche n'aide pas en effet à exposer partout où elle va passer. D'ailleurs, le lieu aura été changé 24 heures à l'avance. Bravo à l'organisation pour avoir maintenu la pression et permis aux quelques chanceux d'assister à la performance.
Pour un concert soi-disant dark-folk, les gens sont loin d'avoir des couteaux entre les dents et des lügers dans la ceinture. Pas d'yeux injectés de sang, pas de gros barbares prêt à faire valoir les droits de sa lignée, non non, rien de tout çà. Le public est disparate en fait, que ce soit dans les âges ou bien les looks : on a du soixantenaire en pantalon côtelé, du petit métaleux déjà rond quand les portes s'ouvrent, du percé, du tatoué, du rasé, limite de braves petites familles d'ancien goth/ new-wave qui auront laissé leur rejeton pour la soirée. Parce que merde ! DEUTSCH NEPAL et surtout DER BLUTHARSCH, il faudrait être fou pour se le laisser gâcher.
Pendant qu'on sirote un verre de vin rouge (pas mauvais en fait), les lumières s'éteignent et l'écran de l'ancien cinéma s'éclaire pour accompagner la première partie du show.
Ce sera BAIN WOLFKIND qui entamera la soirée avec son rock décadent et libidineux. Libidineux à souhait d'ailleurs puisque, pour illustrer sa performance débridée, il a choisi de nous passer « Mondo Topless » de Russ Meyers. Amateurs de gros nibards, à vos kleenex.
La musique se laisse écouter tranquillement. Un rock qui tire entre le road-movie des années 60's et le psychedelic rock des années 70's. Une petite pointe d'atonale par-ci par là, avec comme touche personnelle une voix grondante et sensuelle qui sent bon le jack daniel's et le cubain. C'est du mâle bien couillu et bien poilu.
La bonhomme se trouve dans son élément ce soir il semblerait. Il surjoue un peu l'ivresse (parce que 3 Heineken çà saoule personne), dédicace ses chansons, remercie le public, se déhanche lascivement en se tripotant la ceinture et les pectoraux. Il m'a fait penser à Elvis. Pourquoi Elvis ? Elvis est mort !! Et bien non, Elvis n'est pas mort. Ce soir, on a pu voir un Elvis, qui serait redescendu de ses nimbes, déchu plutôt, plus authentique et plus humain que le King à son apogée. D'ailleurs, BAIN WOLFKIND le joue plutôt bien, le King de ses dames. Il feint même que chacune soit, l'espace d'un instant, sa reine de cœur. Chose amusante d'ailleurs, puisque dans l'euphorie du set, moi j'y aurais bien vu un lapin blanc surgir de nul part, et exploser un ampli sous l'impulsion d'une note trop forte...
Sa performance aura quand même dynamisé un public un peu à la ramasse au début. L'atmosphère est en fait tellement décontractée que BAIN WOLFKIND sur scène en train de gratter la corde sensible (et sensuelle) des gens, çà passe comme une lettre à la poste et limite, on oublie l'artiste.
Résultat du set : les gens sont plutôt contents, BAIN WOLFKIND est chaleureusement applaudi et salué, comme il se doit.
La suite de la soirée prend un tournant différent. On nous a promis DEUTSCH NEPAL. Du bon indus ambient des familles, avec une touche martiale. Un nom qui, comme le suivant, n'a plus à s'annoncer puisqu'il parle de lui-même.
Peter Andersson arrive sur scène tranquillement, limite en s'excusant de devoir pousser un ou deux piliers de comptoir. Le personnage a une bonne petite tête de la quarantaine, pas looké pour deux sous, plutôt vacancier en automne. On reconnaît surtout un profil et un putain de regard bleu acier qui jure un peu avec le reste du costume.
Il ne parle pas deux mots de français mais s'exprime dans un anglais parfait pour dire de manière très douce et réservée qu'il va « essayer ce soir de nous faire un petit quelque chose de joli et d'intéressant » (sic !).
Déjà, les gens sont plus attentifs pour DEUTSCH NEPAL. La population s'est concentrée autour de la scène, une certaine curiosité les anime en fait. Peter Andersson va lancer son sampler sur une boucle de basse tessiture, modulée par quelques parasites, et celle-ci restera jusqu'à la fin du set.
Déjà, derrière sa machine, en plein dans le travail, il a un aspect différent. Il connait son boulot, il est concentré dessus; on pourrait croire qu'il a prit quelques centimètres. Son visage est plus froid, ses yeux plus brillants, ses traits plus tirés, l'ensemble du corps est plus tendu.
Déterminer quel morceau ou bien quel autre est joué est un peu difficile en fait. Certes, on sent durant la performance les passages d'un sample à un autre, mais dans le cas qui nous concerne, les transitions sont tellement bien amenées que tout ne semble appartenir qu'à une seule et même œuvre. Même si sa musique est définie comme étant de l'ambient, il faut quand même bien reconnaître que l'on y retrouve la structure du drone. On a une base répétée à l'infinie, une sorte de canevas, sur laquelle vont venir se superposer des nappes, ambient au début, puis plus martiales vers la fin du set.
En fait, pendant les deux tiers de la performance, je me suis demandé ce qui se passait; musicalement çà s'écoute, c'est intéressant, c'est bien structuré, bien amené mais çà n'aboutit pas. Et puis, au bout d'environ 40 minutes je dirais à vue de nez, le show a commencé à prendre un intérêt tout autre. L'indus ambient, çà ne se danse pas. C'est plutôt lent, pas entrainant, çà s'écoute plutôt que çà se vit (sauf peut-être dans le cas de Ulf Söderberg). Mais c'est dans ce paradoxe que DEUTSCH NEPAL trouve tout son sens et assume toute la légitimité de sa réputation. Après deux tiers du set, alors que les nappes se sont bien superposées, bien entremêlées on a alors un bon gros son qui remplit l'ensemble de la salle, qui joue avec l'acoustique présente à ce moment là. Ca gronde, çà fait vibrer les poumons et les organes qui flottent vaguement dans la carcasse, on sent une tension dans chacun des spectateurs. Tous les yeux sont rivés sur Frozen faces* qui n'a pour l'instant pas montré un seul signe de nervosité ou d'attention particulière à son matériel ou a l'égard de son public. Il est impassible, stoïque, monolithique. Il lance une boucle beaucoup plus distordue et plus agressive que les précédentes; se place devant son micro et commence à hurler d'une bonne grosse voix d'homme par dessus le son qui vrombit. Et là, on se rend compte de ce qui se passe. D'un public végétatif et immobile, on voit, petit à petit les silhouettes qui se mettent à se mouvoir. De plus en plus et jusqu'à la fin du set, les corps se mettent à tanguer, à respirer en accompagnement des imprécations de frozen faces. En y réfléchissant, on se croirait sous l'emprise d'un Erich Zann, sans les squames et les remugles d'Innsmouth. En fait, tout l'intérêt de ces 40 minutes répétitives et minimalistes c'est de réussir à capter l'attention du public mais surtout, et çà tient limite du génie, à former une sorte d'égrégore, à n'avoir au final qu'une pensée unique aussi dépouillée et primale que la musique. On est en plein dans l'expérience de la transe, une mesmérisation moderne, basée sur les réactions organiques face à des fréquences auditives, a des pressions sur l'oreille interne minutieusement arrangées. Qu'il soit souhaité, calculé, ou pas, l'effet, au final, il est là. On sent un auditoire dépouillé de ses parasites cognitifs, dont le seul lien avec le monde extérieur se situe devant lui, dans un petit bonhomme qui hurle en souffrant dans son micro. Tous les yeux sont accroché sur Frozen Faces, les corps se meuvent au son de la boucle, c'est au final une sorte de communion intrinsèque entre l'artiste et le public envouté qui s'effectue. Ce petit bonhomme, qui est arrivé tellement discrètement sur scène tout à l'heure à fait place à un tout autre personnage. La transformation est terriblement choquante d'ailleurs. On a désormais en face de nous une sorte de grand maître détenteur d'un savoir obscur, qui dégage une force et une assurance sans commune mesure. Frozen Faces exsude un charisme absolu et écrasant. C'est un géant qui nous fait face, un titan revenu des abysses. On ne peut connaître de meilleur guide pour la quête initiatique comme celle que nous aurons vécu ce soir.
* l'explication ici
Quand le son s'arrête, et que Peter Andersson cesse d'appréhender le public de sa voix, les gens en restent plutôt coi. Cependant en bon maitre, il enchaine de suite sur une petite comptine allemande. C'est surprenant comme cet homme endosse aussi facilement différentes personnalités. Durant cet intermède, on ne voit plus en lui le grand manitou des instants précédents; et pourtant, même s'il redevient peu à peu ce petit bonhomme discret et timide, il a toujours ce regard bleu acier qui laisse entendre que c'est pourtant la même personne, et que surtout, surtout, l'expérience a réellement été vécue et non simulée par une partie du cerveau. Les gens explosent de joie, et DEUTSCH NEPAL aura bien du mal à remercier poliment de sa petite voix le public ainsi que les organisateurs de la soirée. C'est donc sous une volée d'applaudissements et de cris qu'il rejoindra en catimini l'arrière de la scène.
Et nous voilà donc arrivé au clou de la soirée, avec THE tête d'affiche. Un gros vilain méchant, qui fait tourner le lait, hurler les chiens sur son passage et dont le seul nom aura suffit à devoir nous faire changer de salle 24 heures avant le concert.
Quelqu'un vient allumer deux photophores aux couleurs du dernier album et c'est sous cette lumière feutrée et ténue que DER BLUTHARSCH fait son entrée sur la scène. Nous somme peu nombreux je le rappelle pour ce concert, mais le public, de par sa ferveur, serait largement capable de tenir la dragée haute à une foule hautement plus nombreuse. Les résidents du groupe prennent place à leur instruments et arrive ensuite le maître de la controverse, Mr ALBIN JULIUS.
Le bonhomme et son style ont bien changés depuis toutes ces années; fini les chemises brunes, les petites tronches émaciées et la petite mèche façon boy scout. On a désormais devant nous un brave type, de bonne stature, la quarantaine bien tapée (çà nous rajeunit pas çà) avec une coupe de cheveux plutôt intello de gauche. D'ailleurs, un détail amusant; excepté une moustache fournie et soignée, Albin Julius et Bain Wolfkind se ressemblent comme deux corn flakes et c'est plutôt hallucinant. Sinon, mis à part le fait que tout le monde porte la cravate dédiée au groupe, ainsi qu'une chemise blanche, il faut vraiment être de mauvaise foi pour essayer de trouver un reliquat de l'esthétique pour lequel DER BLUTHARSCH a été tellement décrié par le passé.
Dans une atmosphère plutôt recueillie, le groupe commence à jouer les morceaux de son dernier album.
J'en ai entendu certains dire que « flying high! » était mauvais. En fait, je ne suis pas d'accord. Je trouve au contraire que celui-ci s'inscrit parfaitement dans la continuité de tout ce qu'a pu faire Albin Julius avec DER BLUTHARSCH. Déjà musicalement, on peut constater une évolution évidente de la composition et des arrangements. De l'ultra-minimaliste des débuts, il a ensuite évolué vers une musique largement plus folk, indus voir même complexe; on a eu droit à certaines « errances » pop ou métal, et désormais on arrive à ce qui pour certains reste le fondement de la musique moderne et qui perdure par delà les générations : le rock (n-roll même).
Ensuite, je me permets de faire un parallèle entre les influences précédemment décriées de l'artiste.
DER BLUTHARSCH, pendant un bout de temps nous a habitués à des références nationalo-militaristes. Si l'on en revient à sa discographie, on peut constater que l'on retrouve une certaine forme de chronologie entre les mouvements du début, plutôt 30's (avec TMLHBAC, on était plutôt dans le trip médiéval-dark ou le néo-classique), puis ceux qui ont suivi. On a eu droit à l'avant guerre, la WWII (European side les deux), puis l'après guerre, les années 50 et désormais on est en plein dans l'empreinte de notre époque moderne avec ses sources dans un Rock-n-Roll tout aussi militarisé, puisque la composition musicale s'appuie sur ce que l'on retrouve communément composé au début et pendant la grande fièvre de la guerre du Vietnam (1957-1975). De cette période, on retient surtout ceux qui ont fait grand bruit comme The Doors, les Rolling Stones ou bien des œuvres plus pop comme Hair. Mais c'est plutôt dans les artistes, déjà considérés comme faisant dans le hard ou le décadent qu'il faut puiser : comme Iron Butterfly, Steppenwolf, voir même un peu de Blue Oyster Cult et de The Who (si vous ne connaissez pas Tommy, bah dommage...). On en retrouve de tout çà dans certains des arrangements les plus fins d'Albin.
Enfin bon; tout çà pour dire à ses détracteurs, ceux qui l'on aimé ou ceux au contraire qui l'on détesté, qu'un groupe, même DER BLUTHARSCH, çà évolue. C'est normal, hélas diront certains, tant mieux je dis. Je ne vois absolument pas l'intérêt de l'immobilisme dans l'art et dieu merci, j'arrive encore à apprécier des groupes qui m'ont fait mouiller mes premières culottes. Certains n'ont pas tous bien vieillis il faut bien le dire mais, Albin Julius j'aime bien ce qu'il a fait de DER BLUTHARSCH. Bon ensuite, n'allons pas tout mélanger; « Flying High! » n'est pas non plus une repompe ou bien une copie de ce qui se faisait dans les années 60. On a un son plus moderne et plus actuel, avec ce jeu de l'atonie et de la discordance désabusée et faussement posh qu'il utilise déjà depuis plusieurs albums.
Dans l'ensemble le concert se passe plutôt bien. Pour un public qui voulait sans doute voir ou revoir le DER BLUTHARSCH des débuts, l'accueil est malgré tout sympathique. En fait, même si certains seront déçus justement par l'abandon de cette idée musicale et visuelle glorieusement engagée, ne serait-ce que de pouvoir voir ou revoir le groupe en concert, cela impose une certaine forme de jouissance dans le respect. Les gens se laissent donc bercer aux rythmes entrainant, dont la musicalité est connue par tous. De son côté, il semble que Mr Julius et ses compatriotes aient plutôt apprécié leur passage au zèbre, puisque, si l'on regardait bien, on pouvait voir les visages concentrés esquisser et s'échanger des semblant de sourires. Et là çà fait vraiment peur par contre.
Ha tiens !! Un Peter Andersson les bras chargé de bières qui traverse la salle en toute discrétion. Lui aussi il est content d'assister au concert aux vues de son regard brillant et de ses joues vermillonnées. Ce mec a une bonne tête; mais qu'est-ce qu'il est petit quand il ne joue pas (enfin bon, Roger Daltrey ne mesure que 1,70m et R.J.Dio 1,63m. Ils ont pourtant vendu des disques à tour de bras et sont considérés comme étant des TRES grands).
Fin de l'aparté.
Et voilà que l'on arrive sur la fin du set, et le public est vraiment content. Ca danse, çà s'amuse, çà s'assume pas forcément. Le set aura été très Rock-n-Roll, sans retour sur le passé sauf pour un "Time is thee Enemy" très rock, et le groupe nous laisse comme deux ronds de flan sur son dernier morceau. On aura cependant droit à un rappel, merci au grand Chef; ils nous interpréteront de manière pêchue une piste fameuse (j'ai un faible pour celle avec Dernière Volonté en Guest voice perso) de l'album transitoire « time is thee enemy ». Le public aura beau applaudir, crier, taper du pied par la suite, rien n'y feras hélas pour avoir un second rappel. La soirée s'arrêtera donc là.
Une bonne petite soirée, sans prise de tête en ce qui concerne le second concert de la saison. Malgré une appréhension, concernant de possibles volées de pierres ou d'emmerdes à l'entrée de la salle, rien de tout çà. Ce fut pénard, décontracté, réellement bon enfant dans son ensemble. Même si l'on peut regretter que DER BLUTHARSCH n'ait pas vraiment d'accroche réelle avec son public, on est content de pouvoir dire qu'au moins on les a vus et qu'en plus, le concert fut bon. D'autant que selon certaines sources « flying high! » sera l'ultime et dernier album du groupe. Seul l'avenir pourra le dire à présent.
En tous cas, BAIN WOLFKIND et son lapin blanc virtuel nous auront beaucoup fait rire, Mondo Topless était d'ailleurs je le redis tout à fait approprié. Quant à DEUTSCH NEPAL, il a plus que largement mérité sa place dans les écrits de Piero Scaruffi, mais également dans le petit coin du cœur qui bas de manière primitive et instinctive en chacun de nous, tout comme notre lapin qui ne peut se soustraire de sa course contre la mort.. Une soirée donc plus philosophique qu'on ne pourrait le penser. Une réflexion d'adulte sur un passé déchu, un présent mystique et industriel et une interrogation sur ce que le futur pourra bien nous réserver à la vue des deux autres.
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bon d'accord je n'ai pas vraiment de liens pour illustrer le dit concert mais, je n'en ai trouvé qu'un seul (merci au Lutetia Dandy Club) .
RépondreSupprimerD'ailleurs, si le jeune homme qui a passé tout Deutsch Nepal et les trois quarts de Der Blutharsch les bras en l'air pouvait partager sa vidéo ce serait bien aimable de sa part.
Cependant, les vidéos provenant du Nova alternativa sont plutôt fidèles, puisque le line-up était le même. Seule différence majeure et non des moindre, nous on a eu droit à mondo topless.
Un grand merci à AMORTOUT production pour la mise à jour sur son site en ce qui concerne le concert de ce soir.
RépondreSupprimerUn inventaire de photos de la soirée ici:
www.amortout.com
Vous allez dans "events" et vous cliquez gentillement sur le flyer du concert.