Quand j'ai su que NILE passait sur Paris, je me suis dite : « houlàlà, je les ai découvert avec le premier album, il ne faut surtout pas que je les loupe ». Et j'ai vraiment bien fait, parce que c'est le meilleur concert auquel il m'a été donné d'assister depuis ce début d'année.
L'affiche était prometteuse, 5 groupes de Death Metal, que des noms, excepté ULCERATE que je ne connaissais pas. Après coup, le prix demandé pour le show était d'ailleurs plus qu'avantageux, puisque chaque groupe me sera revenu à moins de 5 Euros. Et pour 5 Euros, des expériences comme celle-là, j'en veux toutes les semaines (parce que tous les jours çà finit par faire saigner les oreilles).
L'ouverture des portes du Nouveau Casino était prévue à 18 heures; C'est bien quand on ne travaille pas ou quand comme moi on a pris sa journée. En outre, ayant trois jours de concerts non stop de prévus, de petites vacances n'étaient pas une mauvaise idée.
Le Nouveau Casino de l'extérieur, çà ne paye absolument pas de mine. Une petite porte, qu'il faut découvrir engoncée entre deux commerces. Nous sommes arrivés assez tôt en fait, puisque 40 minutes avant le concert, il ne devait y avoir qu'une dizaine de personnes à attendre. J'ai été vraiment ravie de retrouver le pays du cheveu long; parmi tous ces gens aux idées aussi courtes que leur poil, cela a un côté plutôt rassérénant et rassurant. L'organisation est assez ponctuelle et les portes s'ouvrent bien aux alentours des 18 heures. Stage Diving interdit à la demande des groupes nous prévient-on, sinon, le concert sera annulé. Plutôt chouette si l'on veut être peinard juste devant, comme j'affectionne. La salle est assez jolie, avec une structure géodésique qui rappelle un peu la géode-astrolabe d'Ogra dans Dark Crystal. Un côté donc surréaliste S.F. qui mélange la technique visuelle et sonore ainsi qu'une esthétique fourre tout un peu posh.
Juste le temps d'aller acheter un peu de marchandising, de fumer une clope dans l'aquarium que voilà déjà le premier groupe qui entame le show. Après une réflexion de, heu, 35 secondes, je décidai que finalement j'allais me passer de fumer; malgré sa position adéquate, sa vue imprenable et même la capacité d'être assise, le fumoir du nouveau casino n'est pas l'endroit indiqué pour assister à un concert de Death Metal si l'on tient à ses oreilles et surtout ses tympans. L'effet caisse de résonance est tel que même collée à la scène le son en fut plus supportable et ce n'est pas peu dire.
Le groupe qui ouvre le bal s'appelle CORPUS MORTALE. Groupe Danois qui s'est formé en 1993. Autant dire qu'ils n'en sont pas à leur coup d'essai et que ce ne sont pas des minots. L'attaque est forte tout de suite, le son est bien gros, la voix est gutturale à souhait. Leur Death est carré, il suit les standards à la perfection. Les compositions sont intéressantes, on sent la maitrise des musiciens (De toutes façons, pour faire du Death Métal, je ne vois pas comment on peut être mauvais). On notera surtout un guitariste principal qui touche bien sans vraiment souffrir (c’est la classe çà) et qui nous donnera l'occasion d'écouter quelques très bons solo. Le batteur, enfin le monsieur caché derrière tous ses futs avait l'air tellement zen que çà en était comique. Etre batteur dans un groupe de Death, non content de devoir être bon, il faut aussi être rapide. Son stoïcisme à la Buster Keaton, alors que tout le corps doit être réactif au quart de poil m'a beaucoup amusé. Etant juste devant, on a l'occasion de contempler, d'admirer et de pouvoir juger de la marchandise sur pièce. CORPUS MORTALE est donc composé de 4 membres, plutôt imposants (c'est normal c'est des Danois), avec un bassiste-chanteur qui mène rigoureusement la barque. On trouve encore dans cette scène une énergie qui semble avoir abandonné le reste de ce qu'est le métal aujourd'hui. En tous cas, CORPUS MORTALE aura su faire une excellente mise en bouche, avec des morceaux comme « Postmortem Rape » ou bien « Shallow graves ». On reste en général sur le thème de la nécrophilie, on va même jusqu'à parler de zombies (et moi j'aime beaucoup les zombies), on aborde sous couvert parfois certains sujets plus contemporains, comme en témoigne « Force Fed Obedience ». En règle générale c'est bon, mais ensuite il faut réussir à comprendre les paroles; Et l'accent Danois sur une voix Death, mes p'tits amis, c'est pas facile. En tous cas, CORPUS MORTALE, ils étaient plutôt contents d'être là. Un petit peu froid au début, car c'est quand même beaucoup de stress, mais le set et l'enthousiasme du public les aura déridés un peu et ils repartiront soulagés.
Alors par contre, étant donné que ce soir il y avait 5 groupes, pas de rappel pour les braves gens. Le set est bouclé rapidement, et ensuite, pour monter-démonter, tout le monde met la main à la pâte.
Le second groupe qui entre sur scène, c'est ULCERATE. Normalement le petit outsider du clan, mais pour moi, une vachement bonne surprise, vous allez voir. Enfin non; vous n’allez pas voir, car dans ce cas vous y étiez aussi, plutôt vous aller lire.
ULCERATE donc, c'est normalement le groupe qu'on ne connait pas. Quand on creuse, on peut apprendre cependant qu'ils existent depuis 2000, mais comme le line-up a beaucoup bougé, on va considérer que le groupe sous sa forme actuelle est assez récent, puisque de 2008 environ. En outre, si l'on veut apprécier les compositions, le plus simple est quand même pour le moment présent, de se baser sur le dernier album « everything is fire », parce qu’il vaut son pesant de cacahuètes et marque un tournant dans la création auditive.
Alors déjà, alors que dans le métal brut de décoffrage les musiciens sont plutôt des grands beaux bébés à cheveux longs poilus, arrivent sur scène 4 phasmes, plutôt pas bien grands avec le crâne rasé ou les cheveux courts. Le chanteur et bassiste doit mesurer 5 centimètres de plus que moi et n'a pas ma carrure (je ne suis pas une Walkyrie, même si j'ai les poumons pour me taper leurs chevauchée. Sans le casque ni les tresses hein...). Le set commence comme une inspiration. Une légère inflexion musicale, générée par une guitare en réverbération, en loops, comme une sorte d'écho-sonar dans la lumière ténue. Alors que la plupart de musiciens de Death ont une posture tendue et rigide, nos braves guitaristes (puisqu'ils sont deux) adoptent à l'inverse une gestuelle souple, courbe et calme. Déjà, pour cet effet, le groupe démarque. Vient ensuite l'attaque musicale principale, avec une rythmique traditionnelle. Notre petit bout de chou de chanteur/ bassiste se met alors à s'exprimer dans son micro et c'est bluffant. Allez savoir comment, mais un si petit machin réussit à cracher ses tripes et tout le reste avec plus de rage et de conviction que l'armoire normande traditionnelle. Mais c'est la composition générale des morceaux qui au final est la plus bluffante. Comme je disais précédemment, pour endosser l'étiquette Death Metal, il faut être bon musicien, et c'est valable aussi pour ULCERATE qui ne fait pas défaut à la condition sine qua none. Seulement, ULCERATE, ce n’est pas le méga top de la mort qui tue en termes de « technicité » habituelle; ils sont bons, pas de doute là-dessus, mais c'est dans la complexité musicale et mélodique que le groupe est mesmérisant.
La tonalité succède à l'atonie, les différents chants instrumentaux s'entremêlent et se chevauchent sans jamais se galvauder. Le rythme ne reste pas constant, non par épuisement des musiciens ou par soucis de réalisation d'un passage, mais par volonté. On passe sans arrêt d'une mesure à 2 puis 5 ou 3 temps, puis on repart sur du 4. Les notes sont écrites dans un ensemble de phrases arythmiques, souvent courtes sauf pour les fins de morceaux où la réverbération programmée permet au guitariste de jouer avec ses cordes, et ainsi de faire transition avec le morceau suivant. Très rapidement, j'ai songé à un autre groupe, donc la réputation n'est plus à faire, et dont le travail sur les chants musicaux et rythmiques est fameux. En fait il faut, pour bien comprendre le concept d’ULCERATE, vous imaginer de quoi serait fait SONIC YOUTH si l'envie leur avait pris de faire un jour du Death Métal. En outre, de par certains de leurs morceaux, aux intros et transitions plus ambient, je songeais même à ce que GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR fait depuis des années. Bon, on reste dans du Death Metal. Mais l'association, dans le cas d'ULCERATE, permet de faire une bonne fusion des deux styles. Le manque de vitesse et d'endurance du batteur est largement compensé par la complexité de son jeu, et celui des guitaristes et bassistes, par leur nécessité à l'exactitude et à la réactivité en termes de mélodie.
De son côté, le public semble être un peu dubitatif au départ; Le son étant plus complexe, les oreilles ont du mal à s'habituer. Mais ce public là s'avère être généreux. Il est exigeant certes, mais saura reconnaître les qualités musicales du groupe. Donc, une belle explosion de joie à la fin du set, afin de féliciter et remercier ULCERATE, pour son Death Metal alambiqué et introspectif.
On fait ensuite une courte pause et déjà le batteur de GRAVE vient ajuster ses fus.
GRAVE est un groupe de Death Suédois. Un vieux vieux puisque l'origine du groupe remonte à 1986. Ce sont donc les papys de la soirée. De toute façon, cela se voit tout de suite lorsque l'ensemble du groupe vient faire les balances. Ils évoluent, concentrés, avec beaucoup de naturel au milieu des roadies et du matos à monter, ajuster ou démonter.
GRAVE attaque son set sévèrement. Le son est bien gros, la technique et la vitesse sont au rendez-vous. Dans l'ensemble, même si les compositions restent du Death, on y retrouve un style très destro-punk. De la même manière que pour ULCERATE, le chanteur me fait halluciner. Une telle puissance émanant d'un phasme, c'est vraiment bon à prendre et toujours aussi étonnant. La puissance qui sort de sa bouche est d'ailleurs comparable au chanteur du groupe sus cité, et on y retrouve vraiment l'expression du cri primal et organique. Le batteur, à la différence de tous ceux vus ce soir est plutôt massif. Il semblerait que la mode du batteur grassouillet ait disparue, au moins dans le domaine du death, puisque celui-ci possède plus de viande que les précédents, ou les prochains, qui sont plutôt taillés comme des ablettes. En tous cas, il n'en reste pas moins un excellent musicien, avec une rapidité d'exécution qui n'a rien à envier aux précédents ou celui de KRISIUN (celui de NILE est sans commune mesure). Ensuite, il faut noter les deux guitaristes du groupe. L'un d'eux ressemble à un gros papa noël rondouillard et bon enfant toussah, quand à l'autre, c'est une publicité sur pieds pour Head&Shoulders. Limite même pourrait-on dire qu'il joue avec ses cheveux. Ils sont longs, ils sont noirs et surtout, ils sont beaux et bien entretenus. En outre, ce monsieur reste quand même l'un des meilleurs guitaristes que j'ai pu voir en termes de vélocité ce soir. Les solos sont intenses, réalisés dans un sans faute absolu. A la différence des trois précédents groupes, lui utilise pas mal de distorsion. Le son global du groupe est plus intelligible en matière d'écoute, et on retrouve à l'oreille l'ensemble des différentes partitions instrumentales.
Le must du groupe, c'est au final un excellent rapport avec le public français. Papa Noël se ballade régulièrement sur le devant de la scène afin de faire profiter la foule de son instrument. Le chanteur harangue régulièrement le public afin d'annoncer les morceaux à venir ainsi que ses impressions sur ses compositions et la tournée qu'ils sont en train de faire. Les autres membres du groupes semblent également apprécier le set qu'ils sont en train de partager avec le public parisien et, en tous cas, ce public soit disant tellement difficile, leur rend bien cette énergie positive et cette bonne humeur, véhiculée par le dynamisme du groupe. Retenue quand même la bonne humeur; Le Death Metal c'est censé rester un truc de mâles dominants.
Le set est un peu court cependant; Moi j'en aurais bien repris une petite tranche. Mais comme il reste encore deux groupes, GRAVE nous souhaitera donc une bonne suite de la soirée après son show, sans espoir de rappel possible.
On entame désormais la dernière ligne droite du concert avec deux gros groupes dont la réputation n'est plus à faire, du tout du tout.
Ceux qui succèdent à GRAVE, sont les brésiliens de KRISIUN. Ils sont trois. Ils font du bruit comme quinze. J'ai compris d'ailleurs pourquoi ils étaient sponsorisés par Marshall, les amplis... Mes oreilles en ont saigné (quand même pas certes, mais la douleur s'est bien pointée au milieu du set). Le set attaque extrêmement puissamment, le son est immense et très cohérent. On se retrouve de suite enveloppé dans une bulle sonore épaisse.
Pas grand chose à dire sur les compositions du groupe parce que c'est que du bon. Les intros possèdent une bonne montée en puissance, annonçant un déluge de décibels correctement exprimées, la rythmique des textes est assez simple, ce qui permet de scander les paroles et de reprendre les refrains en cœur. Les trois « compadre » sont d'excellents musiciens, et là aussi, on aura droit à de très fins solos de guitare.
KRISIUN est un groupe extrême ET extrêmement généreux avec son public. Entre chaque morceau, le chanteur nous gratifie d'un bruyant « thank you brothers » ou bien, de sa variante « thank you motherfuckers ». Alex Camargo fait du Death parce qu'il aime le Death, et considère cette musique comme précieuse. C'est pourquoi il s'adresse à la foule en porte parole de la scène, qui est underground et doit le rester. En outre, mis à part Ronan Harris, c'est le seul artiste que j'ai pour l'instant vu remercier les gens présents, parce que, pour lui aussi, sans cette population, le mouvement, la scène n'existe pas. Ce sont ces fans, ces gens qui sont là plutôt que ces gens qui achètent (si on aime, on achète) qui donnent un sens aux performances, aux concerts. Une raison pour chacun des membres de la « communauté » Death Metal de faire avancer la machine, de créer, de composer et de jouer.
Ensuite, visuellement, KRISIUN c'est vivant. Les trois musiciens passent par toutes les phases du grand panthéon des sentiments et sensations, allant de la transe extatique à la douleur simiesque.
Alex Camargo, tout comme ses deux acolytes, souffre énormément durant une performance; de la chaleur, mais également de l'effort. (Tout pareil que Ronan, je sais c'est naze), un petit ruisseau vient rapidement à naitre sous ses jambes. Sauf que, parce qu'il tient sa basse, l'effet donne un côté surprenant à la scène. La sueur goutte de son front, de son crane, mais aussi de l'ensemble de son corps, pour venir au pire tomber directement sur le sol, au mieux, et de manière fascinante et je dirais extrêmement sensuelle, ruisseler le long des cordes de sa basse. Suivant l'instant, soit le fluide se retrouve dispersé par les vibrations rageuses en un petit nuage brillant et vaporeux, soit, la goutte finit sa course au sol, sans jamais avoir emprunté le même cheminement que la précédente. C'est une sorte de ruissellement permanent qui enveloppe légèrement et délicatement l'instrument d'Alex, sorte de Jesus musical, se vidant de sa substance dans une Passion extatique et primordiale. En fait les serviettes éponges laissées à disposition servent plus à essuyer les cordes des instruments qu'à éponger le front des musiciens. L'instant est magique, d'une magie primaire venant du fond des âges, muée par la rage d'exister et de survivre à un environnement sauvage et hostile.
En fait, je retrouve dans KRISIUN cette énergie brute qui faisait son intérêt à SEPULTURA. Cette maîtrise assez spécifique et pourtant tellement rigide de la musique, ce côté carré, tout est sous contrôle, et cette volonté très présente et marquée de faire plus; plus fort, plus gros, plus authentique, plus essentiel, plus tout (sauf qu'eux, n'ont pas besoin de maquillage au bouchon).
Donc, la conclusion, c'est que KRISIUN c'est du vrai pur bon Death des familles avec tout ce qu'on aime dedans : steack, potatoes and gravy. On pourrait penser que justement, puisque KRISIUN respecte à ce point les codes du genre, l'intérêt en serait normalement moindre, mais que nenni. Il y a dans l'expression de leur musique, de leur performance, ce côté merveilleux de l'inspiration qui fait la différence entre du bon et la vraie pure qualité. C'est la valeur ajoutée du petit morceau d'âme qui fait toute cette différence et qui rassasie le besoin mais surtout l'envie.
Et nous voilà à attendre notre tête d'affiche. Le son de KRISIUN a été tellement fort que pour la ronde des roadies et la mise au point des balances, au lieu d'avoir à nouveau du bon gros death, l'ingé nous gratifie de la BO de Starship troopers. L'œuvre de Poledouris est tellement marquée dans ma mémoire que j'ai revu le film le Week-End suivant tiens.
J'aime bien les raodies de ce concert. Si, pendant ce laps de temps volé au concert, on s'ennuie, au moins on peut admirer et les plastiques et le musée d'art graphique vivant que forme la flopée de tatouages des braves messieurs. Et de l'encre sur les corps, ce n'est pas ce qui manque durant cette soirée; En plus des cheveux longs. Car en effet, il n'y a rien de plus triste qu'un métalleux avec une calvitie. C'est comme un arbre qui s'étiolerait parce qu'une colonie de fourmis lui bouffe les racines.
Ou un sapin qui perd ses aiguilles. Ca me fout toujours le bourdon un sapin qui se dépoile...
Sinon, il y a un truc très beau pour ce concert. C'est l'entraide au sein de cette petite société que forment les artistes et les techniciens qui les accompagnent. En effet, entre les différents groupes qui se sont succédés précédemment, chacun y mettait du sien, qu'il s'agisse de ce pourquoi ils sont là (les techniciens) mais également ceux pour quoi on agit (les artistes). Tout le monde s'affaire, pour que la performance du suivant soit la plus réussie possible, sous l'œil bienveillant de l'ingénieur qui effectue les mesures du son et coordonne tout ce petit monde.
Je l'ai déjà dit dans un baratin précédent mais je trouve vraiment qu'il faudra bien, un jour, rendre ses lettres de noblesse à toutes ces silhouettes fugaces sans qui le merveilleux d'un concert n'existerait pas. Mais j'ai un avis un peu particulier puisque je considère que la qualité d'un concert, d'une performance ou bien d'un bon film, dépend autant des artistes, du public que de tout ce qui peut se passer durant.
Et nous voilà donc arrivés au grand moment de la soirée (si l'on considère que le reste n'était que chichis, ce qui n'est pas mon cas heureusement). Je dis grand moment, mais il faudra mieux dire Grande messe plutôt. Parce que NILE en concert, c'est la claque absolue. L'expression même de la vénération, de la communion avec le grand dieu oublié du Death Metal, la transcendance de la musique (ce n’est pas Palestrina mais sous une forme musicale différente, çà se vaut).
Les lumières se font ténues et sur l'intro, l'ovation de l'entrée en scène du groupe est assourdissante.
Le set débute puissamment sur le premier morceau du dernier album : « Kafir ! » Et c'est une bombe. La présence des différents membres est hallucinante, d'autant plus que chacun dégage un charisme propre.
Avant de parler des impressions, parlons d'abord de la musique que Jack Sanders a écrite et arrangée pour nous.
NILE, c'est une composition parfaite, soutenue et assurée par des musiciens hors pair. Le premier album était un tout petit peu brouillon, quoiqu'à l'époque extrêmement prometteur. Déjà, pour les puristes, on retrouve tout ce qui compose le Death Metal, et je dirais même plus, tous les styles qui composent le genre. Les riffs succèdent aux passages Brutal ou Speed, avec une composition mélodique qui prend sa source dans l'ensemble de ce que la musique a pu jusqu'alors apporter de novateur à chaque époque. Les solos, de guitare, de basse ou de batterie sont étourdissant de vélocité, de maitrise et de complexité. La cacophonie se retrouve naturellement transformée par une harmonie parfaite, les compositions jouant avec les dissonances et les consonances s'entremêlent sans jamais faire de disturbance In The Force (private joke pour ceux qui étaient là). D'un point de vu visuel et auditif, NILE ressemble à un groupe de jazz expérimental; c'est à dire que chacun joue sa partie, connue sur le bout des doigts, mais que l'apparente désorganisation donne inéluctablement un ensemble fameux et cohérent. Chacun des trois musiciens à corde possède une voix spécifique, dont le timbre et les inflexions, même lorsqu'ils scandent à plusieurs, se retrouvent présentes et marquées. Dallas Toller-Wade possède ce type de voix glacial, stoïque et calculée qui élève les textes, Chris Lollis donne une puissance imposante et agressive, quant à Karl Sanders, il permet de rajouter au livret un timbre tantôt plus lumineux, tantôt plus sombre, selon qu'il utilise sa voix claire ou qu'il la module pour réaliser ce grondement si cher au genre. L'utilisation des instruments est poussée a un niveau impressionnant; Sanders est mondialement reconnu, Toller-Wade maîtrise à la perfection, Lollis et sa basse ne font plus qu'un et George Kollias est une brute, tant dans la vitesse de ses Blast Beats, que dans son omnipotence 'védique' face à son ensemble de percussions. Pour l'anecdote, ce brave petit gars a été mesuré à 280 BPM sur le premier riff du dernier album. L'homme vaut donc largement la machine (certains styles de techno hardcore tickent parfois au delà de 1000 bpm, mais bon). J'en reviens d'ailleurs à Chris Lollis tiens, puisque je l'avais bien en face de moi. Ce mec est hallucinatoire. Déjà parce qu’il a des cheveux superbes qui doivent bien mesurer 1,20m (lors du premier headbang et avant que la chaleur n'augmente, on pouvait sentir le parfum du shampooing), mais aussi parce que sa relation avec son instrument est extraordinaire. Déjà, il tient sa basse comme un violoncelle, quasiment à la verticale; ensuite parce que l'ensemble qu'il forme avec fait ressortir une relation quasi-charnelle. L'instrument est certes un prolongement du musicien, mais possède également cet individualisme sexué, que l'on retrouve dans les attitudes et le regard de l'homme à son égard. On pourrait tout bêtement arguer que Chris Lollis est concentré mais, l'érotisme qui se dégage de la scène me laisse penser quand même que c'est bien plus que de la simple maestria. Mais je dévie sur les impressions là. Ensuite, je peux citer certains des excellents morceaux que NILE a interprété pour nous ce soir, comme par exemple « 4th arra of Dagon » qui est très sombre et s'accommoderait parfaitement de certains plan du film du même bois (un excellent Gordon), l'excellent « those whom the gods detest » , tiré lui aussi du dernier album du même nom. Ensuite, celui-ci est à mon oreille le meilleur que NILE ait pu produire jusqu'alors, mais les 5 autres qui ont été sortis, sont tous vraiment bons. En outre, comme l'a annoncé Dallas Toller-Wade ce soir, NILE est très loin d'arrêter sa carrière et ils sont là pour encore très très longtemps. On espère vraiment.
Parlons maintenant des impressions de la performance du groupe.
Non content d'être composé de musiciens d'exceptions, NILE ce sont 4 membres qui possèdent un charisme individuel incroyable. Leur entrée en scène, non seulement soulève de tonitruants applaudissements, mais donne aussi l'impression que l'on a ouvert le livre des morts et que le savoir sacré et interdit va être révélé devant vous. Il ne s'agit pas d'une tension électrique et palpable comme pour certains autres groupes qui s'imposent uniquement de par leur renom; NILE est reconnu par le divin qui se trouve habituellement caché sous la viande et les strates sociales. Leur simple présence tend à élever l'âme et celle-ci en appelle à recevoir l'enseignement ésotérique pour être enfin, l'espace d'un instant, apaisée.
La performance dans son ensemble laisse une impression de grande messe solennelle, célébrée pour le culte de Set ou d'Anubis. Dallas Toller-Wade fait office de grand prêtre, assisté dans sa tache par deux acolytes (Karl Sanders et Chris Lollis) et dont le message est annoncé par le Hiérophante (George Kollias), qui possède la connaissance et la puissance nécessaire au message.
Les sources d'inspiration sont tellement imprégnées dans NILE, que même la performance visuelle illustre de manière flagrante ce dans quoi le compositeur a été puiser. L'ensemble du tableau est magnifique, et l'on se retrouve envouté par la magie présente.
Durant la première moitié du set, le lien avec le public est un peu froid; l'enthousiasme et la ferveur déployée ce soir finissent par dérider le groupe qui clôturera son set de manière beaucoup plus décontractée. Zack et Dallas s'adressent directement à la foule, et même papotent un peu. La fin du concert sera donc brillante, et on aura même droit à un rappel pour combler un peu plus notre énergie du soir. Karl Sanders est suffisamment content pour venir, alors que déjà la scène est en train d'être démontée, serrer les mains des premiers rangs et s'adonner à une séance de dédicaces, un grand sourire généreux et plein de dents sur le visage.
J'en ai profité pour creuser un peu le profil du bonhomme d'ailleurs. Non content d'être l'initiateur de NILE, il a également sorti sous son nom deux très bons albums solos. On retrouve naturellement les références à l'Egypte antique ainsi qu'aux civilisations plus anciennes, mais il s'agit d'ambient et non de métal. Si j'ai le temps, je me prendrai par la main et je ferai une chronique du p'tit gars et de ses deux albums.
Conclusion de la soirée. Tellement de choses qu'il m'aura fallu pas mal de temps pour m'en remettre. La première conséquence physique du concert : des acouphènes qui ont mis 5 jours à partir (mais bon; c'est ma faute aussi puisque j'ai fait trois concerts coup sur coup et que j'abhorre les bouchons d'oreilles). La deuxième conséquence physique, l'impression le lendemain qu'une mama italienne m'avait travaillée toute la soirée comme une pâte à pizza. Ensuite, la soirée aura été tellement riche d'un point de vu moral que même fatigué, on se sent chargé d'une énergie positive incroyable.
Chacun des cinq groupes qui sont passé ce soir sur la scène du nouveau casino, nous ont présenté un Death Metal personnel et bien différent de celui de leurs petits camarades. NILE est un groupe à la virtuosité remarquable, KRISIUN possède le son le plus 'ventilatoire' qu'il m'ait été donné d'écouter;
GRAVE et ses arrangements punk-hardcore (sans oublier notre ami donneur de fessés Sandy-claws), la composition tellement prog et avant-garde d'ULCERATE et enfin, le son carré et très 'zombie' de COPRUS MORTALE.
Autre chose qui me marque énormément concernant ce concert, c'est l'énergie générale et cette authenticité que l'on trouve dans le Death Metal et qui semble disparaître de tout le reste. Ronan Harris a fait en septembre dernier, avec Rotersand un excellent concert bourré de bonnes choses; mais le Death Metal a su conserver cette notion primordiale de la musique qui l'alimente toujours, qui est cette volonté d'exister. Le Death se doit d'être underground et de le rester comme disait ce soir Alex Camargo et après le show, il est facile de comprendre pourquoi. Toute chose mise en commun devient chose commune; cette puissance du genre existe encore et permet toujours de créer ou d'accoucher de nouveautés viables, car il n'a pas encore été galvaudé par les majors et balancé à un public décérébré comme étant le zeitgeist de l'année. Le Death Metal fait encore fuir les ménagères de moins de 50 ans. La musique est trop complexe et trop bruyante, la morbidité générale des compositions le préserve de l'intérêt financier malsain qui pourrit désormais le black et contamine petit à petit le Doom. J'espère du fond du cœur que la scène Death, même si elle reste restreinte, restera pendant encore longtemps un bastion de l'underground et de la créativité telle qu'on la connait aujourd'hui.
Donc, une excellente première soirée de mon marathon de trois jours. Je ferai pendant encore longtemps la comparaison entre mes futurs concerts et celui-là, puisque je le considère comme un landmark dans ma culture du live. Et comme je suis reconnaissante et fidèle à ma pensée, je vais porter pendant longtemps les couleurs de NILE sur le dos (en plus de porter désormais des bouchons d'oreilles pendant les prochains concerts).
Merci NILE, merci Garmonbozia pour l'excellente soirée qui nous a rappelé ce qu'être vivant veut dire.
30 décembre, 2009
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